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Damien Gernay: Cuir poétique

Damien Gernay: Cuir poétique
Copyright Tine Claerhout

Cette année, à la design week de Milan, Damien Gernay a associé son talent à la marque de maroquinerie Delvaux, pour l'exposition "Tradition and Technology: a matter of perception".

 

Il faut monter quelques solides volés d'escaliers pour accéder à l'atelier molenbeekois de Damien Gernay, le temps de faire le vide et d'être prêt à entrer dans l'univers de cet artiste-designer. Un univers sensuel et sensible, qui a donné vie à des pièces élégantes, telles la lampe alvéolée Veiled Lady, le Textured cabinet et ses coulées de bois ou encore la délicate bloated stool, inspirée par le ventre des futures mamans.

 

Cette année, à la design week de Milan, Damien Gernay a associé son talent à la marque de maroquinerie Delvaux, et cela dans le cadre de l'exposition "Tradition and Technology: a matter of perception". Elle a mis à l'honneur 13 designers et 13 entreprises belges issus de différents secteurs afin de créer un nouveau produit ou prototype. Une expérience nourrissante et enrichissante.

 

Vous voilà à peine revenu de la Design week de Milan. Quel est votre sentiment immédiat concernant cette édition 2016 ?

Milan est un rendez-vous important, je consacre 3 à 4 mois de l’année à cet événement. Cette année, j’y ai présenté 3 pièces: celle issue de la collaboration avec Delvaux et deux pièces éditées pour les marques italiennes Mogg et Durame. Cette année il y a eu beaucoup de retours directs. Je peux donc dire que pour moi, ce fut un "bon Milan" !  L’exposition organisée par Belgium is design est un moment très attendu. Cela permet de créer des connections et d’être en contact avec des pièces que l’on n’a pas la possibilité de découvrir tout au long de l’année.

 

Comment s’est passée votre collaboration avec Delvaux ?

Je travaille le cuir depuis longtemps et m’associer à Delvaux m’a immédiatement enthousiasmé. Il a ensuite fallu les convaincre que faire des choses un peu plus expérimentales pouvait aussi être intéressant pour eux. Nous nous sommes accordés pour réaliser un travail axé sur le gainage et la couleur.  Après notre premier rendez-vous, je suis rentré chez moi à pieds – un trajet d’une dizaine de kilomètres – pour réfléchir. J’ai eu alors l’envie de proposer une trace de pinceau, juste un trait de couleur. Une œuvre qui fasse penser aux moulures, aux strates. Je voulais un geste très instinctif, rapide, efficace, contrebalancé par un travail ultra spécifique qui prend beaucoup de temps. Une démarche à double temporalité.  Le cheminement artistique, c’est convertir l’image en objet. J’ai développé un outil et ai tiré moi-même le plâtre. J’aime bien détourner la matière, qu’il n’y ait pas d’évidence au premier regard.  De loin, on dirait du plâtre et puis on s’approche et on voit le travail exceptionnel autour du cuir.

 

Un travail du cuir effectué par les artisans de la Maison Delvaux ?

C’était un sacré défi. Je ne pars jamais de la fonction pour développer le concept, cela nait toujours d’une idée poétique ou d’une image. J’ai eu la chance de travailler avec une collaboratrice très talentueuse. Nous avons fait plusieurs essais et avons beaucoup discuté pour améliorer les choses. L’idée, c’était de présenter un faux vrai, que ça ait l’air d’être du plâtre mais que ce soit du cuir. Nous avons passé beaucoup de temps à chercher le blanc qui soit le plus proche du plâtre. Techniquement, j’ai appris de ce projet énormément de choses qui me serviront sans doute à l’avenir. Delvaux a développé une manière de travailler intéressante, généreuse et accessible. Leur collection de cuir est tout simplement magnifique.

 

Et vous, quelle est votre manière de travailler ?

Le travail numérique est important, mais moi, j’ai besoin de travailler la matière, de tâtonner, de faire des erreurs. Et chaque erreur peut être le point de départ d’un nouveau projet. J’ai du mal à suggérer une matière si je ne l’ai pas touchée.  Et mon travail est quasi uniquement basé sur le détournement de techniques, de matières… Le matériau, il faut l’emmener au bon endroit. Et inventer différents langages via des associations avec d’autres matériaux. Créer une pièce, pour moi, c’est un saut dans le vide. Je suis tous les jours à l’atelier. Notre luxe, en Belgique, c’est d’avoir suffisamment d’espace pour créer. A Bruxelles, j’aime la sensation d’être à la fois dans une capitale et un petit village, on entre dans cette ville et on se sent chez soi.

 

Estelle Toscanucci