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David Martin: La Paix et le carpe diem

Chef de "La Paix", un restaurant 2 étoiles Michelin, et de plusieurs autres établissements dont "Black Pearls" à Brussels Airport ou "Le lieu" à Genappe, David Martin est aussi un passionné d'art contemporain. Nous l'avons rencontré !

Que représente pour vous le fait d'être couronné du titre de chef de l'année ?
C'est important, mais pas dans le sens d'un joli diplôme qu'on accroche aux murs de son restaurant. C'est plutôt un réconfort professionnel. Lorsque je crée un nouveau plat, mon désir de créativité me distancie parfois des gens à qui je souhaite faire plaisir. Ce genre de prix rassure. Il prouve que je me trouve sur le bon chemin et que mes clients ont compris l'intelligence et les saveurs de notre cuisine.
 
Aujourd’hui, tous les chefs ou presque rendent hommage aux artisans et aux producteurs. Les mentionner sur la carte, c’est une tendance qui vous parle ou qui vous agace ?
Toutes les tendances ont un côté agaçant quand elles sont poussées à l’extrême. Il en est de même pour la tendance ‘locavore’. Mentionner le nom d’un producteur à côté de l’intitulé d’un plat n’est pas forcément un gage de qualité. Lorsqu’on se targue de ne cuisiner que sur base de produits qui sont acheminés à moins de 60 kilomètres à la ronde, alors qu’on emploie de la sauce soja, c’est juste risible. Lorsque je mentionne l’origine d’un crabe ou d’un saké, je cherche juste à informer mes clients. Pas à en faire un argument de marketing.
 
Vous êtes proche de créateurs belges tels Charles Kaisin qui a signé la sculpture origami du plafond de la Paix et aussi de Kaspar Hamacher connu pour ses sculptures monoxyles. Qu’est-ce-qui vous attire chez eux ?
Il y a six ans, lorsque j’ai décidé, après un voyage au Japon, de repenser complètement ma manière de travailler, j’ai non seulement revu la carte, mais aussi le décor du restaurant. J’ai conservé les éléments qui constituaient l’âme du lieu dont le comptoir en formica usé, les guichets de banque en acajou Art déco et j’ai introduit des œuvres qui racontaient la suite de l’histoire : l’origami de Charles Kaisin laisse apparaître les anciennes colonnes du restaurant. Cette structure fait le lien entre l’ancien et le nouveau La Paix. Quant à l’installation en bois de chêne brûlé de l’intérieur de Kaspar Hamacher – institulé La Paix  –, une composition modulable centrée sur trois ouvertures arrondies, elle fait référence à ma passion pour le pays du Soleil levant. Là-bas, c’est un symbole d’ouverture. L’œuvre crée un lien entre la cuisine et la salle.
 
Dans un restaurant comme le vôtre, l’expérience culinaire est primordiale. Comment l’envisagez-vous ?
C’est un mot qui m’énerve, je l’avoue. Je lui préfère l’expression « moment de table ». Pour moi, ce terme englobe à la fois le lieu qui est ici chargé d’une histoire forte et le message qu’on cherche à délivrer par le bais des assiettes servies à chacun. Je veux que ce message soit autant radical et pointu tout en restant très lisible. L’alliance des deux atteint le niveau de l’impalpable et de l’immatériel et rejoint le ressenti de ceux qui sont là pour vivre un instant fort et singulier. Le reste ne compte pas.
 
L’art est un élément clé dans votre vie. Lorsqu’il entre dans votre restaurant, contribue-t-il justement à sublimer ce « moment de table » ?
Pendant six années, j’ai exploité Bozar Brasserie au centre-ville de Bruxelles. Le fait qu’il soit accolé au Palais des Beaux-Arts a influencé ma décision de m’y installer. Les chaises de La Paix, initialement choisies pour Bozar, sont des modèles originaux du Danois Arne Jacobsen pour Fritz Hansen. Leur couleur – un fabuleux bleu Horta – est inspirée de celle du linoléum du musée. Dans un autre registre, je viens de réaliser un dîner à quatre mains avec le chef Willem Hiele dans l’atelier du peintre Denis Meyers. Ce qui m’incite à m’engager dans un projet, plutôt que dans un autre, c’est l’intégrité des gens. Avant d’aimer une œuvre, j’aime d’abord la personnalité de l’artiste. 
 
C’est ce qui vous a donné envie de créer Le Lieu à Genappe ?
Tout est parti de ma rencontre avec l’artisan torréfacteur Serge Luypaert et sa compagne, l’artiste Goedele Van Renterghem. Nous y organisons des dégustations, des expositions… C’est un restaurant, mais aussi une galerie d’art, un lieu de rencontres.
 
Vous accordez beaucoup d’importance à l’esthétique de vos assiettes. On peut y voir un lien avec votre passion pour l’art contemporain ?
Oui, même si, aujourd’hui, j’évite le piège du premier degré dans lequel j’ai parfois eu tendance à tomber dans le passé. Je ne cherche plus à reproduire les formes ou les couleurs d’une œuvre qui me parle. Ce qui m’intéresse, c’est le geste. Lorsque je réalise une découpe, je cherche le bon angle, celui qui va révéler la texture d’un met et donner une autre dimension à la composition dans l’assiette. J’ai d’ailleurs dans ma cuisine des couteaux japonais dont certains sont des œuvres d’art.
 
Quel regard portez-vous sur la créativité en Belgique ? Dans les domaines de l’art, du design de la musique et bien-sûr de la gastronomie ?
Elle est vive et très présente, mais ce qui me manque, c’est une véritable valorisation de cette créativité. Ce qui m’anime, ce sont les agitateurs, pas les copieurs. Lorsque l’art devient trop commercial, il ne m’amuse plus.
 
Aujourd’hui, les chefs sont des personnalités publiques. Ce statut de star, comment le vivez-vous ?
Vous savez, ce statut, on ne l’a pas voulu. Lorsque j’ai décidé de faire ce métier, les cuisines ouvertes n’existaient pas. Nous étions anonymes. Pour ma part, j’ai toujours fait ce que je sentais. J’ai pris des risques. Alors, le star-system, je m’en contrefiche. Je cherche avant tout à rester fidèle à moi-même. Lorsqu’on ment, ça se sent tout de suite. Ce qui est certain, c’est que j’ai vécu les choses que je voulais vivre. Un matin, j’arrêterais tout, d’un coup. Et ce sera fini. Je ferai du saxophone ou j’apprendrai un autre instrument. Ou j’ouvrirai un garage de voitures anciennes. On verra…
 
Interview de Marie Honnay