On dit de son travail qu’il est sensible et clairvoyant. Sous son label bruxellois Loudordesign studio, Jean-François D’Or réécrit habilement l’histoire des objets qui nous entourent. Entretien avec le designer entre archétypes, bon sens et poésie.
Une nouvelle journée de travail commence. Routine ou exploration ?
D’abord : exploration ! Je ne cherche pas à être un spécialiste de tel ou tel type d’objet. Au contraire, chaque projet est pour moi l’occasion d’aborder une autre fonction ou une autre matière, d’en intégrer toutes les données pour se poser la question : « comment puis-je traduire ce que l’objet et la matière peuvent nous donner de mieux ? ». J’aime revisiter les évidences. Par contre, habitudes et découvertes ne sont pas incompatibles. Je nourris une certaine routine que je nommerais plutôt méthodologie. Elle se construit et s’enrichit chaque jour par l’exploration qu’induisent naturellement les nouveaux projets.
Et quelle est cette méthodologie ?
Elle tient du tableau d’inspiration ou du « moodboard », qui était par ailleurs le nom de l’exposition consacrée à mon travail et réalisée en 2013 par le Grand Hornu Images (ndlr : depuis rebaptisé CID). Lorsque j’entame un projet, je me documente énormément. J’ai l’envie un peu irréaliste de tout savoir sur le sujet. Ces recherches créent un champ lexical, un réservoir d’inspiration dans lequel je puise les éléments pour raconter une histoire à travers le futur objet. C’est ma façon de lui donner une richesse intérieure, un supplément d’âme, en amont de son apparence. Je commence chaque projet par écrire plutôt que dessiner. L’approche strictement formelle de l’objet ne m’intéresse pas.
Un exemple concret pour illustrer cette méthode ?
Bien sûr ! Récemment, j’ai dessiné une série de bancs pour MMood au sein de l’entreprise Mintjens, spécialiste du mobilier en chêne. Avec d’autres designers, j’ai été invité par l’entreprise pour créer une gamme de mobilier contemporain. Je me suis intéressé au banc. Le résultat est une collection modulaire et empilable déclinée pour 1, 2 ou 3 personnes. Les bancs sont disponibles en différentes teintes, dont le chêne noir qui a donné le nom à la série : Black Sheep. J’ai abordé ce travail à travers une juxtaposition d’impressions provenant du lieu de production, de la thématique du banc et d’intuitions personnelles. Un aspect ludique, le jeu du saute-mouton, est apparu dans la succession des éléments de différentes tailles. Le banc noir fait un peu figure d’exception, c’est le « mouton noir » de la série. L’authenticité de l’objet « banc » a aussi été de pair avec une recherche de rationalisation poussée des formes et des assemblages. Derrière la simplification extrême du projet, son aspect formel donne les indices de l’histoire que je tente de lui faire raconter. Cette volonté se retrouve dans chacune de mes créations.
Loudordesign Studio existe depuis 2003, quels changements remarquez-vous dans votre démarche ?
En 2003, tout était à construire. Les projets étaient là mais, pour les faire exister, il a fallu démarcher, aller vers les entreprises. Avec l’expérience, ce sont les marques, les maisons d’édition, parfois même les galeries qui viennent vous trouver. Ce qui change le plus, c’est la géométrie de cette relation en triangle entre le client, l’usager final et le designer. La liberté de création initiale doit s’accorder aux contraintes de production, à l’emploi d’une matière spécifique, aux questions de rentabilité. Les grandes marques ont leur habitudes, leur histoire, leurs exigences. Le designer doit parvenir à répondre aux objectifs tout en inscrivant sa propre vision du produit tout en anticipant les scénarios d’usage du futur objet et son dialogue avec son utilisateur...
Un souhait pour l’avenir ?
Mon choix de devenir designer était lié à l’envie de voyager. Ce souhait est toujours d’actualité. L’exposition au Grand Hornu Images a beaucoup fait parler de mon travail. Je suis régulièrement présent sur des expositions et des salons internationaux. Paradoxalement, j’ai actuellement beaucoup de collaborations avec des entreprises belges : Vervloet, Vika, Cruso,… La créativité belge se porte et s’exporte bien et c’est tant mieux. Les produits circulent partout dans le monde et créent de nouvelles possibilités de collaborations. Finalement, c’est à travers la vitalité des marques que l’on rencontre son public. Je collabore beaucoup avec les français de Ligne Roset. Inévitablement, la distribution internationale de mes créations m’échappe un peu et l’utilisateur final m’est inconnu. Un souhait serait d’entendre les impressions, de voir l’appropriation des objets par le public.
Interview: Sylvie Reversez